PROPHÉTIE           


La pièce, plutôt petite, était éclairée par une simple bougie, posée au centre, sur une caisse faisant office de table. L’homme marchait de long en large d’un pas à la fois rapide et souple. La flamme, à chaque passage, se penchait comme pour mieux accompagner l’ombre fantomatique qui se projetait sur le mur blanchi à la chaux.

Une nouvelle fois, Judas se demanda s’il avait bien compris le message transmis par le Maître. Il était pourtant, dans le groupe, le seul à savoir interpréter les pensées subtiles du Nazaréen. L’école essénienne, à laquelle, naguère, il avait appartenu, l’avait formé à la traduction des exercices allégoriques. Pourtant, cette fois, logique et raison n’étaient plus en phase. Deux solutions possibles : soit l’orgueil l’empêchait d’admettre qu’il n’était pas, intellectuellement, à la hauteur, ou bien...

Le visage de l’Iscariote se crispa, exprimant une vive douleur- c’était le Maître qui n’était plus cohérent. Une rencontre s’imposait ; il devait savoir.

Acte II

Le Nazaréen posa sa main sur l’épaule de Judas. Son regard était affectueux. Il lui parla d’une voix à la fois douce et autoritaire.

« L’homme a perdu sa sagesse et sa morale. Corruption et mensonge sont le lot quotidien des habitants de la région. Il est temps de créer des règles pour que chacun retourne aux vertus essentielles. Pour que le peuple suive le guide, il faut que le guide soit craint. Mon discours n’a pas d’autre but. Tu observeras que ce sont ceux qui m’écoutent, et non moi, qui affirment que je suis le fils de Dieu. Pour rester dans la mémoire du peuple, je dois mourir. Tu avais donc bien compris mon message. Vois-tu, ami, le sacrifice que je te demande est bien plus grand. Dans l’avenir, ton nom sera maudit. Peut-être même seras-tu tenté par le suicide.

Acte III

Les bains romains étaient très appréciés et Pilate n’échappait pas à la règle. Il se lava les mains par mesure d’hygiène.

Pilate savait son armée en sous effectif. Il ne pouvait se permettre l’insurrection du peuple. Il laissa donc les Hébreux exécuter le Nazarréen. Ainsi mourut celui qu’on appelait Jésus.

Acte IV

Tout s’était déroulé comme prévu.- Il avait « vendu » le Maître et pour ne pas éveiller la méfiance des soldats, il avait accepté l’argent dont il n’avait nul besoin, sa famille étant riche.

Tout s’était déroulé comme prévu.

« Peut-être seras- tu tenté par le suicide. »Cette phrase revenait sans cesse, l’empêchant de se concentrer, de réfléchir.

Ses compagnons pouvaient croire aux remords, mais Lui savait que Judas n’était que l’instrument volontaire de cette tragédie. D’ailleurs, il allait partir très loin, peut-être même à Rome.

Le grincement de la porte qui s’ouvrait l’arracha brusquement à ses pensées. Dans l’encadrement, éclairées par le soleil couchant, se découpaient deux silhouettes. Il reconnut sans peine Joseph le géant et son inséparable Ismaël. Le regard de ce dernier allait de Judas à la poutre maîtresse du toit. Dans sa main droite une corde pendait.

L’Iscariote passa une main, devenue subitement moite, sur son cou. Il venait de comprendre que tout allait se dérouler comme prévu mais que cela n’aurait rien d’une intervention divine.

Tout à coup, il eut froid. Ce n’était pas une peur physique, mais un doute qui s’insinuait, le pénétrait comme un poisonà la fois subtil et mortel . Il réalisa avec terreur qu’à l’approche de la mort, il était en train de perdre la foi.

FIN



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