PATROUILLE           


Le sous-off s’arrêta devant le panneau portant l’inscription – salle de garde -. Malgré la forte chaleur et un hygromètre plafonnant au maxi, il ne transpirait pas. Il lui arrivait de se demander, si peu à peu, le climat du Tonkin ne l’avait pas transformé en lézard , le privant, comme lui, de glandes sudoripares…. « La modification de l’espèce, l’évolution lente et irréversible, en quelque sorte de l’individu, en fonction du milieu ambiant. » Il se sourit à lui même. Toujours son habitude de soliloquer, moyen d’évasion, façon d’éviter la  solitude lorsque le spleen montre le bout de son nez. Allons vieux, reviens sur terre, ce n’est pas le moment de philosopher.

Le tour de patrouille l’attendait là, accroché au mur sous la forme d’un petit carton jaune. Itinéraire accompagné de consignes que les anciens ne lisaient plus, parfois fastoche, parfois moins marrant. L’officier décideur était-il impartial ? Après tout quelle importance ?

La lune dominait la rizière et l’ombre bizarre des palmiers nains faisait penser à une ronde folklorique de danseurs exécutant une sardane. Les crapauds buffles laissaient échapper leurs cris rauques, appel fort peu discret signalant leur présence à quelque femelle en quête d’aventure. Au petit matin, certains rentreraient dans leur trou, espérant faire mieux la nuit suivante. A ce concert, se mêlait un crissement léger, continu, à peine audible que l’oreille exercée du sous-off n’eut pas de peine à reconnaître : les sauterelles d’eau. Ce signal était le bienvenu car le chant de ces insectes, très craintifs, est la preuve que le lieu est désert. De plus, dérangées , ces sauterelles mettront longtemps avant de reprendre leur litanie.

C’était le moment de progresser. Se retournant vers son adjoint , le caporal supplétif vietnamien, natif de la région, le chef de patrouille lui demanda (coup de sécurité ) son avis.

« Vous êtes le chef, vous décidez, moi j’obéis . »

L’air ironique, content de lui, il tient sa revanche . Pourquoi aider celui qui est responsable de l’absence de son nom au dernier tableau d’avancement. Le coup du boomerang en quelque sorte.

Stupéfait, réprimant sa colère, le sous-off donna le signal du départ….

Le lendemain, dans le bureau, le sous–off fixe son adjoint de patrouille qui se tient face à lui dans une attitude rigide.

-« Sais-tu que tu risquais ta propre vie à ce jeu là ? »

-« Non, je vous connais, J’ai confiance en vous ; maintenant vous pouvez me punir. »

A la fin du trimestre, le caporal a pu lire son nom sur le tableau d’avancement.

FIN



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